Making Of

(Ecrit en 2003)

Conception

Tout à commencé lorsque j’ai décidé de mettre en pratique mes nouvelles connaissances en matière d’images de synthèses.

Je cherchais un sujet de court métrage qui serait aussi enrichissant d’un point de vue technique que d’un point de vue artistique. Ayant un peu d’expérience en matière d’animation, j’ai compris qu’il fallait que je choisisse un sujet fort et riche pour tenir pendant les nombreux mois qui m’attendaient.

J’avais déjà travaillé sur de petites animations dont une avec un personnage, inspiré d’une oeuvre de Matisse, que je faisais glisser sur de l’eau.

Ça m’a plu et j’ai eu envie de reprendre l’idée du reflet en le transposant dans une nature traitée d’une façon réaliste.

J’ai imaginé un personnage vivant près d’un lac. 

A ce moment là je pensais en faire une pub pour la météo (Darty) avec un homme barbu en train de boire un thé dans sa maison, au milieu des arbres, regardant la pluie tomber à l’extérieur, avec soudain une fée volant à travers la nature et changeant la pluie en beau temps. (je précise que je ne bois pas et je ne fume pas)

Par la suite j’ai abandonné cette idée, en pensant que Darty avait déjà des équipes pour réaliser ce style de pub et que tout ce qui pourrait m’arriver c’est que l’on me la fauche. J’ai donc réorienté mon idée pour en faire l’histoire d’un homme face à la nature hostile.

D’un point de vue technique c’était très excitant, une nature entièrement de synthèse, un personnage à animer, une maison et son intérieur, en résumé pleins de nouveaux défis techniques. (j’avoue que j’étais surement un peu maso)
Avec une volonté principale: Faire différent de ce qu’on à l’habitude de voir en 3D.
Des choix plus portés sur les textures que sur la géométrie, du fait main avec une recherche personnelle de toutes les techniques à employer et une utilisation minimum de plugins.
Evidemment à ce moment là, je ne me doutais pas des difficultés qui m’attendaient.

J’ai situé mon histoire en Sibérie, territoire sauvage et très peu peuplé ou il y a des hivers très rigoureux et des étés très chauds.

J’ai commencé par me documenter dans les bibliothèques de la ville de Paris en cherchant tout ce qui avait un lien avec mon histoire (la nature Sibérienne, les intérieurs et architectures russes, les habits etc…)
Puis j’ai dessiné un premier story-board et créer une première esquisse de mon personnage en NURBS et en metaballs. (deux échecs)


La création des décors

 

J’ai commencé la modélisation de l’intérieur de la maison puis j’ai pris des photos pour les textures de mes meubles.
(C’est à ce moment là que j’ai perdu le plus de temps, en modélisant et en texturant des meubles qui ne figure pas dans le montage final, j’aurais du finalisé le story-board et l’animatique avant.)

J’ai donc parcouru le 14ème arrondissement de Paris (mon quartier), à la recherche de belles textures de bois, de métal et autres à photographier, puis j’ai profité de mes vacances à la montagne pour les compléter.
(99% des textures de mon film proviennent de mes propres photos)

A ce moment là, je n’avais pas de matériel numérique à ma disposition, J’ai donc utilisé un Reflex 24×36 Pentax avec un objectif 35-70, puis tiré sur papier et scanné. (une précision importante, mon père est photographe)

      

Premier test avec photo d'arbre et faux refletEnsuite j’ai travaillé la nature autour de la maison, le lac et la barque en particulier et l’extérieur de la maison

Au début je pensais créer les arbres et les reflets dans l’eau à partir de photos, par la suite je me suis rendu compte que pour mon plan final avec la caméra qui remonte au-dessus des nuages, j’avais besoin d’arbres en perspectives et qu’une simple photo ne suffirait pas.
Et que pour avoir de meilleurs résultats pour le lac, de vrais reflets seraient nécessaires.

 

  


La musique

J’avais situé mon histoire au début du 20ème siècle, j’ai donc cherché dans cette période des morceaux pouvant m’inspirer.
Je suis tombé par hasard sur la symphonie “isle of dead” de Sergueï Rachmaninov.
Je trouvais que le début correspondait exactement à ce que recherchais, un coté très sombre et dramatique.
Le même jour, j’avais les 3 morceaux suivants, provenant de chants liturgiques orthodoxes du même auteur.

A partir de ces musiques, j’ai conçu un nouveau story-board.


Dimitri

Je sais... il a un pied de travers. Et en plus il lui manque une chaussure. (c'est pas le pied)Jusque là j’avais eu beaucoup de difficultés à trouver une technique de modélisation pour le personnage.
Je cherchais une technique professionnelle qui me permettrait de modéliser et d’animer facilement Dimitri. (difficile à trouver dans des livres et sur Internet)

Puis il y a eu IMAGINA 2000.
Pour la deuxième année, je suis allé dans la partie parisienne du Festival.
J’ai questionné des infographistes, primé à Imagina (tant qu’à faire), pour avoir leurs avis sur la question.
Tous mon conseillé la modélisation polygonale.

Après IMAGINA j’ai mis en pratique ces conseils et finalement j’ai opté pour la modélisation polygonale avec maillage simplifié par extrusion d’arête (créer des faces à partir d’arêtes)

Là, c’était la libération, avec cette technique je faisais d’une pierre deux coups, d’une part un gain de temps dans la modélisation par l’utilisation d’un maillage simplifié et ensuite une plus grande facilité d’animation avec character studio, puisque le maillage n’est complexifié que lors du rendu (avec un lissage maillage ou meshsmooth pour les anglophones)

Cette technique est d’ailleurs universellement utilisée (mais ça je ne le savais pas, bien évidemment)

Dès le départ du projet, je voulais que le personnage soit réussi.
C’est le point le plus important, et beaucoup de personnes s’y sont cassé les dents.
Tout simplement parce qu’on connaît bien l’être humain, et qu’on voit tout de suite ce qui cloche dans une reproduction.

 

Je voulais transmettre ce réalisme à travers la matière de la tête du personnage, sur laquelle j’ai passé beaucoup de temps et à travers ses expressions, une tache extrêmement difficile.

Comme vous pouvez le remarquer, le chapeau a disparu dans l’animation.(j’ai changé d’avis)
En fait, je ne pouvais pas le supprimer, il était attaché au squelette, alors je l’ai simplement caché au rendu.

Et non, ce n'est pas le capitaine Haddock.

Un problème de taille subsistait, la modélisation du visage du personnage.
J’ai compris que si j’essayais de modéliser un visage avec l’extrusion d’arêtes, j’allais y passer des semaines.

Après avoir fouillé dans divers fichiers fournis avec Max, j’ai trouvé un exemple de tête: Morpher.
En le déformant, j’ai créé la tête de mon personnage.

Pour les cheveux et la barbe, j’ai utilisé le plugin Hair, mais je n’ai pas utilisé d’animation dynamique, j’avais déjà pas mal de contraintes et j’avais besoin d’allègement techniques (idem pour les vêtements, eux aussi sans dynamiques)

Mon père a servi de référence pour Dimitri. (d’ailleurs, je tiens à le remercier, quelle patience!)
Je l’ai pris en photo pour obtenir des textures et des plans de constructions.
Je n’ai pas essayé de le cloner, je me suis juste servi de lui comme base pour créer un nouveau personnage.


L’animatique

Ensuite, j’ai créé une animatique à partir du story-board et de la musique.

L’animatique résout une grande partie des problèmes rencontrés lors de la réalisation d’un film en images de synthèse.

D’abord elle permet de concrétiser le story-board en 3D, avec des caméras, des décors…

Grâce à l’animatique, on peut se libérer des contraintes liées à la lourdeur d’une scène complexes en polygones et en textures en créant une représentation simplifiée des éléments et ainsi animer, monter, et sonoriser son film facilement.
Ma réalisation finale étant à la même échelle que l’animatique, j’ai pu importer les caméras et me servir de l’animatique comme référence.

C’est à ce moment que j’ai travaillé le montage en relation avec la musique,
Toute la construction de mon histoire c’est faites ici, ensuite il ne restait plus qu’à la réaliser 😉
Parce que j’avais construit mon story-board à partir de la musique, j’ai été contraint, d’avoir des séquences d’une durée précise pour respecter les morceaux, ce qui m’a obligé à ajouter des plans pour que le spectateur ne s’ennuie pas.

J’ai travaillé comme ça pendant plus d’un mois pour construire mon histoire.
Chaques soirs je lançais un rendu du travail de la journée que je vérifiais le lendemain matin.


La nature

Pour représenter la nature en 3D d’une façon réaliste, j’ai du l’observer pour la comprendre, à travers le modèle que j’avais, la montagne.
En effet, j’y ai puisé tout ce qui a composé mon histoire :

Des lacs, des mélèzes, des orages, du vent…

C’est ici que j’ai appris la règle essentielle du réalisme: La diversité.
Et ça vaut pour tout, par exemples:

Au niveau du texturage, il faut éviter les répétitions, donc avoir un maximum de textures différentes pour une même surface.
Pour les éclairages idem, beaucoup de spots différents.
Dans le cadre de mon film, pour l’herbe, les nuages, les arbres et le lac, toujours les même règles, diversité de textures, de formes et d’animations.

Et pour obtenir cette diversité, il faut batailler avec des outils à base de formules mathématiques, qui lorsqu’ils sont utilisés d’une façon simple fournissent toujours la même répétition.
J’ai donc toujours essayé de casser cette répétition, en diversifiant
au maximum.
Et c’est ici qu’on est restreint par les limites de puissance de l’outil informatique…

 

N’ayant pas trouvé de plugins me convenant pour création de forêt , j’ai décidé de créer mon propre système de création d’arbres.

Je suis parti du plugin “Clay studio” pour créer le tronc et les branches.
Pour le feuillage j’ai opté pour la création de textures de groupes d’épines en 3D qui après un rendu servait comme mapping à de simples faces positionnées sur le tronc 3D.

J’ai créé 7 mélèzes 3D différents, qui après une rotation automatique et un changement de couleurs ont formé 336 textures d’arbres. (c’est magique!)

Ensuite il ne restait plus qu’à appliquer ces textures sur des centaines de faces pour créer une forêt, chaque face contenant une texture d’arbre (les arbres ayant des modificateurs instancié et référencé pour avoir des tailles, et des mouvements différents)

Pour les nuages, je suis passé par divers essais, eux aussi, très peu concluant.(et pas mal de prise de tête pour trouver des techniques)
J’ai eu la chance, et il m’en aura fallu beaucoup, de trouver (encore) un plugin me sauvant la mise, “Afterburn”.
J’ai mis énormément de temps pour arriver à le maîtriser mais ça valait le coup.

 

Pour l’herbe, encore un plugin…
J’aurais pu créer quelques touffes mais pas en animer des milliers.
Par contre pour créer une diversité de tailles et de couleurs de brins, en se rapprochant le plus près possible d’un aspect naturel, j’ai du faire plusieurs dizaines de zones d’implantation, contenant elle-même plusieurs types d’herbes différents.

 

Pour le lac, j’ai créé une surface maillée avec un modificateur “Noise” pour l’animation + “un displacement” à partir d’une photo de lac pour la forme des vagues.
Les reflets sont calculés en raytracing, ce qui a demandé beaucoup de patience.


La prise de sons

Comme pour les textures, j’ai commencé par chercher ce qui était disponible sous forme de CD et sur internet.
Et là encore j’ai été très déçu par les échantillons sonores que j’ai écoutés.
J’ai décidé de créer mes propres sons.(100% des sons de “Dimitri” proviennent de mes enrgistrements)
L’enregistrement sonore fait partie de mes passions et l’idée me plaisait de parcourir la montagne à la recherche de bruits de vents dans les mélèzes, de rivières, d’éclairs (les sons d’éclairs présents dans mon film ont été enregistrés dehors pendant un orage de montagne, coup de bol!)
J’ai pratiquement bouclé ma liste des besoins en échantillons sonores en août 2001 pendant mes vacances, il ne me manquait plus que quelques sons que j’ai recréé par la suite dans des logiciels de traitement sonore.

Le matériel utilisé pour la prise de son était un enregistreur minidisc Sony MZR30 et un micro Sony ecm-ms907 que j’ai acheté spécialement pour l’occasion.


La réalisation

Après avoir mis en place le décor et commencé l’animation de Dimitri dans sa barque, J’ai eu beaucoup de difficultés à me décider à lancer un rendu définitif.
En effet, chaques images prenant près d’une heure et demi de calcul, il valait mieux être sûr du résultat.

Une fois que je me suis décidé à accepter le fait que j’avais terminé mon travail, et que je ne pouvais pas faire mieux, la réalisation a avancé beaucoup plus vite.

Au début, j’enchaînais l’animation et le rendu des séquences de façon chronologique, par la suite j’ai essayé de terminer en premier l’animation des séquences demandant le plus de calcul (celles avec le lac) pour être sûr d’alimenter mes 3 PCde façon continue jusqu’à la fin du projet.

Une des difficultés a été l’animation du personnage.
Je ne connaissais absolument rien sur le sujet.
J’ai fait de mon mieux, mais l’outil manquais de souplesse et de précision par moment.
Cette difficulté était contrebalancée par la rapidité des tests d’animation.(grâce au maillage simplifié)

Ce qui m’a le plus posé de problèmes c’est la cohabitation de tous ces plugins au niveau du rendu.
J’ai eu de très nombreux plantages et erreurs que j’ai du corriger en post-production.
Certaines séquences plantaient même de façons aléatoires durant la nuit (celles avec de l’herbe) j’ai du me résigner à les calculer dans la journée pour pouvoir les surveiller.
Heureusement, je travaillais par couches, ce qui m’a évité de tout refaire (voir section post-production)

En dehors de la chance, et de la technique, la clé de réussite de projet aussi complexes, c’est l’organisation.
Les 6 derniers mois, j’ai préparé un planning précis, avec les 3 PC et leurs taches durant la journée et celles du soir
Je le remettais constamment à jour en fonction des dépassements et des avances.
Grâce à ce planning j’ai pu organiser le travail sur les 3 machines pour qu’elles travaillent en continue et qu’elles me fournissent les couches qui me permettait de les intégrer dans combustion puis dans première au fur et à mesure.

Je me débrouillais pour travailler sur une machine tout en faisant des tests de rendu sur les autres, et ainsi perdre le moins de temps possible à attendre la fin d’un rendu.


La Post-production

Ce qui m’a permis d’envisager la réalisation d’un court métrage aussi lourd en géométrie et en texture, c’est la découverte durant le salon SATIS 2000 du logiciel Combustion et de la possibilité de travailler en calques pouvant garder des informations 3D (de profondeur, d’opacité, d’objets etc…) sur de simples images 2D.

Dès lors, on peut calculer des morceaux de scène séparément, et les rassembler dans combustion tout en pouvant ajouter des effets de profondeur de champs, de lens-flare, de brouillard, de retouche chromatique, le tout par sélections, par calques, ou par objet, bref une liberté supplémentaire qui contrebalance la lourdeur de l’outil 3D.

J’ai pu retravailler une grande partie de l’esthétique du film grâce à ce logiciel.

Après avoir compilé les couches et ajouter des effets, j’exportais le tout sous Première, ou je montais tous les bouts de séquences en ajoutant la bande sonore (la musique + les échantillons sonores)

J’ai fait tout le montage son sur première, et j’ai apprécié sa grande rapidité et simplicité.

Les chiffres:

Mes ordinateurs ont évolué d’un simple pentium 233 avec 128mo de RAM à 3 AMD (2 à 1,3Ghz et 1 à 1,6Ghz) avec chacun 1,5GO de RAM

Le calcul s’est échelonné de novembre 2001 à octobre 2002 et à généré 58 GIGAS de fichiers RPF contenu dans 39 424 fichiers utilisé.

Ce film totalise plus de 15500h de calculs (estimation en additionnant les temps des machines)

D’Octobre 2001 à avril 2002 avec 2 PC (plus de 6500h)
De mai à octobre 2002 avec 3 PC (plus de 9000h)

Conclusion

Ce film n’aurait pas pu être réalisé deux ans auparavant, les techniques n’étant pas disponibles pour des logiciels comme 3D Studio max.

Quand je dis techniques, c’est autant pour la partie logiciel (plugins) que pour la partie matériel (disques durs, mémoires, processeurs)

Comme vous avez pu le lire, j’avais la naïveté de penser pouvoir me passer de plugins, et il m’aura fallu beaucoup de tentatives et d’échecs pour me rendre compte de mes erreurs de conceptions.

Voilà, je crois que j’ai fini de fouiller dans mes souvenirs.

En regardant en arrière, je me rends compte du travail pharaonique que j’ai accompli, mais il faut préciser que je ne savais pas ce qui m’attendait, sinon je m’y serais pris autrement!

Bonne chance à tous.

Alexis Chenot